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Le Droit de l'Entreprise

DROIT DES AFFAIRES
Appréciations critiques de la réforme du droit des procédures collectives
Publié le 01/06/2000
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Appréciations critiques de la réforme du droit des procédures collectives

La loi du 25 janvier 1985 avait été votée afin de faciliter le redressement des entreprises en difficulté. Les tribunaux de commerce et les administrateurs judiciaires devaient aider les entreprises à sortir de l'ornière grâce à des solutions de continuation ou de reprise.

Le bilan est le suivant : de 25.000 défaillances d'entreprises en 1984 à 75.000 en 1993.

Ces défaillances ont entraîné, depuis 10 ans, la perte de 500.000 emplois. Autant que les plans sociaux dans les grandes entreprises dont la presse s'est faite régulièrement l'écho. Le cérémonial qui entoure la disparition quotidienne de quelques centaines de petites et moyennes entreprises est pourtant beaucoup plus discret. Qui, aujourd'hui, lit, quotidiennement, les annonces légales sur la liquidation judiciaire des entreprises ?

Il est évidemment impossible de considérer que les imperfections de la loi de 1985 seraient responsables, de quelque manière que ce soit, du nombre des dépôts de bilan. Ces statistiques révèlent, en réalité, la crise d'adaptation des structures industrielles et commerciales au nouvel ordre économique mondial ainsi qu'un phénomène de concentration des entreprises.

Certains auteurs y voient, en outre, et à juste titre, au vu des statistiques sur la mortalité infantile des entreprises, le résultat d'une création " inconsidérée ", avec une insuffisance de fonds propres, par des personnes insuffisamment informées et conseillées (J. Paillusseau, Les vicissitudes de la loi du 25 janv. 1985, Les Petites Affiches, 12 janv. 1994, p.7).

Si le régime juridique des " faillites " est parfaitement étranger à la quantité des défaillances, en revanche, la nature du traitement des entreprises en difficulté a son rôle à jouer dans la recomposition du tissu industriel et commercial français.

Or, les mécanismes instaurés en 1985 ne permettaient pas toujours aux organes de la procédure, et notamment aux administrateurs judiciaires, d'accomplir leur mission dans les meilleures conditions et, surtout, de faire en sorte que les objectifs de la loi puissent être atteints.

L'analyse du texte devait révéler rapidement les imprécisions et les incohérences de la loi (P. Diener, Quelques réflexions critiques à propos de la loi sur le redressement judiciaire des entreprises, D. 1986, chron. p.123).

La doctrine la plus autorisée fit état, au sujet de la loi de 1985, de " malfaçons techniques " concernant, notamment, le défaut de coordination des organes de la procédure, les critères de la compétence et de la nature de la procédure (générale ou simplifiée)impossibles à connaître à un créancier souhaitant assigner en redressement judiciaire, l'incertitude sur la notion de partie dans le régime des voies de recours (F. Derrida, P. Godé et J.-P. Sortais, Redressement et liquidation judiciaires des entreprises, Cinq années d'application de la loi du 25 janv. 1985, Dalloz, 1991, no 15, p.23).

La pratique devant les tribunaux fit apparaître presque aussitôt de nombreuses difficultés d'application (J.-M. Calendini, Bilan d'un an d'application de la loi no 85-98 du 25 janv. 1985, Petites Affiches, 11 nov. 1987, p.20).

Aussi les juristes et les organisations patronales ont-ils appelé de leurs voeux, puis suggéré, des modifications à la loi de 1985.

Il fallut attendre 1994 pour qu'elle soit réformée.

Selon l'actuel garde des Sceaux, M. Pierre Méhaignerie, la loi réformant la prévention et le traitement des difficultés des entreprises permet de renforcer les mécanismes de prévention et de mieux armer les entreprises contre les effets de la défaillance de leurs partenaires.

Le nouveau droit de la faillite est destiné, notamment, à mieux protéger les créanciers, afin de limiter les pertes procédant de la mise en redressement judiciaire de leurs débiteurs.

Dans cet esprit, la modification des règles régissant la déclaration des créances, et notamment de l'article 50 de la loi de 1985. Désormais, la forclusion n'est opposable aux créanciers titulaires d'une sûreté publiée ou d'un contrat de crédit-bail que s'ils ont été personnellement avisés de l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire par le représentant des créanciers. Ces créanciers peuvent, dans le cas contraire, déclarer leurs créances auprès du représentant des créanciers pendant un an à compter du jugement d'ouverture. A défaut de déclaration dans le délai d'un an, la créance est éteinte.

La réforme tend, par ailleurs, à moraliser les pratiques de reprises d'entreprises en difficulté. Le souci affirmé de privilégier les reprises par des sociétés ou des hommes expérimentés et familiers du secteur dans lequel se situe l'entreprise débitrice et d'écarter les repreneurs professionnels s'inscrit dans cette logique. La pratique du dépeçage de l'entreprise ou de la vente par appartements était, à l'évidence, de nature à méconnaître, sans contrepartie réelle pour l'économie nationale, les droits des salariés et des créanciers.

Les procédures de reprise d'entreprises en difficulté ont, en effet, été modifiées, aux fins de protéger tant l'entreprise que les créanciers, par une amélioration de la transparence des opérations et une interdiction des offres de dernière minute (F. Derrida et J.-P. Sortais, 14 sept. 1994, p.10 ; F.-J. Crédot, Les grandes lignes de la réforme du droit des entreprises en difficulté, Les Petites Affiches, 14 sept. 1994, p.16 ; C. Saint-Alary-Houin, La réforme des plans de redressement, Les Petites Affiches, 14 sept. 1994, p.107). Afin de lutter contre la pratique du dépeçage, l'article 83 modifié de la loi du 25 janvier 1985 impose au repreneur d'indiquer les prévisions de cession d'actifs au cours des deux années suivant la cession.

Les nouvelles dispositions répondent, en particulier, aux observations critiques d'une partie de la doctrine qui voyait dans la loi de 1985 un moyen pour des financiers peu scrupuleux de s'enrichir (F. Perrochon, Halte au détournement de la cession judiciaire d'entreprise, D. 1990, chron., p.252 ; F. Derrida, A propos des plans de cession de l'entreprise, Dévoiement ? D. 1992, chron., p.301).

Mais le dispositif mis en place par la loi du 10 juin 1994 et son décret d'application du 21 octobre 1994 ne nous paraît pas complètement à l'abri de la critique.

En premier lieu, la réforme se fonde sur une séparation systématique entre créanciers et débiteurs. Or, on observe, en pratique, de plus en plus souvent, du fait même de la multiplication des procédures, l'existence de relations contractuelles entre plusieurs entreprises en redressement judiciaire. Ces situations poseront certainement des problèmes d'application, notamment en ce qui concerne la résiliation des contrats en cours.

Le législateur a décidé, pour mettre un terme aux hésitations jurisprudentielles et doctrinales, que les contrats en cours étaient résiliés de plein droit lorsque l'administrateur ne répond pas, dans le délai d'un mois, à une mise en demeure du cocontractant d'opter entre la continuation et la non-continuation du contrat.

Mais qu'en est-il lorsqu'un administrateur judiciaire, optant pour la continuation d'un contrat, met en demeure l'administration de l'entreprise cocontractante d'exercer son droit d'option et que ce dernier ne répond pas dans le mois suivant ? Doit-on considérer, prenant l'article 37 modifié de la loi de 1985 au pied de la lettre, que le contrat est résilié de plein droit ? Ou doit-on faire prévaloir le choix du premier administrateur ? Ce conflit, qui n'existait pas en ces termes sous l'empire de la loi ancienne, semble difficile à résoudre, surtout si les débiteurs ont des intérêts divergents.

La résiliation de plein droit nous paraît trop systématique. Qu'en est-il dans le cas d'un administrateur négligent ? Doit-on admettre que l'entreprise se trouve privée d'un contrat essentiel à sa survie ?

En deuxième lieu, les praticiens observent déjà certaines difficultés, s'agissant des procédures de redressement judiciaire, notamment en raison d'exigences peu réalistes en matière de trésorerie et de paiement des créanciers, avant même l'adoption d'un plan.

Certains auteurs défendent la réforme en faisant ressortir notamment que les nouveaux mécanismes " ménagent l'intérêt de l'entreprise " et " protègent les cautions " (F. Zenati, La réforme du redressement judiciaire, Gaz. Pal., 25-26 nov. 1994, p.10 et s.).

Deux objections pourraient être relevées.

D'une part, il est nécessaire que l'entreprise poursuive son activité suffisamment longtemps pour qu'une reprise puisse être envisagée, et que la moralisation voulue par le législateur soit réellement utile. Or, le traitement de l'entreprise pendant la période d'observation paraît mal adapté à la situation des entreprises en redressement judiciaire. En outre, la règle de l'indication des intentions de cessions pendant les deux années suivant l'adoption du plan ne protège que faiblement les entreprises reprises. Pourquoi limiter cette information à deux années ? Quelle est la sanction en cas de cession importante d'actifs lorsqu'aucune promesse de maintien de l'actif (notamment immobilier) n'est effectuée dans le plan ?

D'autre part, s'il est vrai que, sous l'empire de la loi du 10 juin 1994, les cautions bénéficient de la suspension des poursuites, et, plus généralement, d'une protection accrue (Y. Chaput, La réforme de la prévention et du traitement des entreprises, J.C.P., éd. E, 1994. I, p.381 ; J.-F. de Valbray, Le cautionnement des dirigeants et la faillite de l'entreprise, Petites Affiches, 14 sept. 1994, p.73 ; J. Devèze, Le cautionnement des entreprises en difficulté, brèves observations sur la loi du 10 juin 1994, Petites Affiches, 12 oct. 1994, p.10), l'innovation n'est pas d'une grande portée en pratique dès lors que la jurisprudence récente de la Cour de cassation affirme que le créancier ne peut obtenir la condamnation de la caution à payer aux lieu et place du débiteur principal qu'au terme de la procédure de vérification des créances permettra d'établir l'existence et le montant de la créance impayée (par ex. Com., 17 mars 1992, J.C.P éd. G, 1994. II, no 22317, note C. Mouly).

La loi du 10 juin 1994, votée en urgence, sans la seconde lecture souhaitée par la Commission des lois du Sénat est une loi pragmatique.

Le décret d'application du 21 octobre 1994, qui fixe simplement les modalités de la loi, n'en dénature aucunement l'esprit.

Les modifications apportées au régime antérieur rendent compte des efforts fournis par les organes repésentant les grandes entreprises (C.N.P.F.)et les établissements de crédit (A.F.B.)afin de défendre leurs intérêts auprès du législateur.

Un des axes principaux de la réforme consiste en la restauration des sûretés réelles (hypothèque, nantissement). Au profit, au premier chef, des établissements bancaires. Ainsi, et à titre d'exemple, les créanciers bénéficiant d'une hypothèque priment désormais les créanciers qui permettent la poursuite de l'activité après l'ouverture du redressement judiciaire (créanciers " de l'art. 40 ").

Dans le sens du retour à la vocation initiale des procédures collectives, la réalisation rapide des actifs et l'apurement du passif : la consécration légale de la pratique de la liquidation judiciaire immédiate lorsqu'il semble, au premier examen du dossier, qu'aucune possibilité de redressement n'est envisageable.

Le législateur énonce que la situation de droit commun est la liquidation judiciaire de l'entreprise.

Cette philosophie pourrait inquiéter.

La pratique, elle, n'observera aucun changement. Le réalisme du législateur permet de reconnaître, et en quelque sorte de légaliser, le prononcé immédiat de la liquidation sans période d'observation ni enquête, hormis éventuellement une brève enquête à la barre, dès lors que toute tentative de redressement apparaît, au seul vu des pièces comptables du dossier, manifestement impossible.

S'agissant des procédures de redressement judiciaire proprement dites, la loi risque d'être, en pratique, délicate à appliquer à beaucoup d'entreprises qui, par définition, n'ont pas ou peu de trésorerie disponible. Par exemple lorsqu'elle impose le paiement comptant des biens et services réalisés au profit du débiteur dans le cadre de la continuation des contrats en cours au moment de l'ouverture de la procédure. En effet, l'administrateur ne peut demander des délais de paiement que si, au vu des documents prévisionnels, il estime que le débiteur dispose des fonds nécessaires à l'exécution du contrat. Cette exigence est singulière pour une entreprise qui, par définition, ne peut faire face à son passif exigible avec son actif disponible.

Ces mesures risquent de peser sur les _ faibles _ chances de survie des débiteurs.

Les faveurs accordées aux créanciers revendiquants, qui bénéficient notamment 1)de la possibilité de revendiquer des biens fongibles entre les mains du débiteur, 2)d'un délai de trois mois qui court désormais à compter de la publication au B.O.D.A.C.C. ou du terme du contrat s'il est en cours au moment du jugement d'ouverture (J.-L. Bigot, La pratique des revendications et demandes en restitution de biens, consécutive à l'application de la loi du 10 juin 1994 et du décret du 21 oct. 1994, Gaz. Pal., 18-20 déc. 1994, doct., p.2 et s.), nous paraissent également dangereuses pour la poursuite de l'activité des entreprises pendant la période d'observation, en ne permettant pas aux organes de la procédure de connaître rapidement la consistance exacte du patrimoine du débiteur.

La proportion des liquidations, immédiates ou après période d'observation, risque, à notre avis, d'augmenter assez fortement.

Loi de compromis entre des intérêts corporatistes bien défendus plus que loi de concertation, loi de circonstance, la loi réformant la prévention et les procédures collectives laisse transparaître, au-delà de son caractère pragmatique et de son manque, corrélatif, de cohérence globale, une volonté assez élitiste.

Le législateur semble avoir délaissé les objectifs prioritaires de la loi de 1985, à savoir la sauvegarde de l'entreprise et des emplois, aujourd'hui presque vidés de leur substance.

La nouvelle loi sur le redressement et la liquidation judiciaire est une loi réaliste, mais une loi pessimiste. On ne croit plus au redressement des entreprises et on abandonne l'idée de faire passer au second plan l'intérêt des créanciers pour maintenir en vie des entreprises, permettre leur redressement, et sauver des emplois.

Il est vrai que l'on pourrait objecter que les emplois se trouvent également chez les créanciers et que le non-recouvrement des créances serait susceptible de les mettre en péril. Cette analyse ne tiendrait pas compte, toutefois, de la réalité économique. Parmi les dettes les plus importantes figurent généralement l'Etat, les organismes de recouvrement des cotisations sociales et les grands établissements bancaires. Les fournisseurs de biens seront, semble-t-il, moins touchés, grâce au jeu de la réserve de propriété, de la revendication, et de la restitution amiable.

Les faillites en chaînes, si elles existent effectivement, concernent des entreprises dans des situations particulières (entreprise monoclient, sous-traitants dépendant d'une entreprise donneuse d'ordre)ou utilisant le crédit inter entreprises (crédit fournisseur notamment). Aussi, l'on ne voit pas que la loi du 10 juin 1994 puisse éviter les faillites en chaîne.

La philosophie de la loi, fortement inspirée par le C.N.P.F. et les établissements de crédit, est claire. En période de crise, la concurrence révélera les entreprises les plus solides, les plus " saines ".

Les nouvelles dispositions conduisent à réserver la protection à celles qui en ont le moins besoin et à celles qui parlent le langage des banques.

Pascal ALIX
Avocat à la Cour



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