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DROIT DU TRAVAIL
Le foulard islamique dans l'entreprise

Publié le 27/05/2004

Si, en vertu de l'article L. 120-2 du Code du travail, un employeur ne peut imposer à un salarié des contraintes vestimentaires qui ne seraient pas justifiées par la nature des taches à accomplir et proportionnées au but recherché, la liberté de se vêtir à sa guise au temps et au lieu du travail n'entre pas dans la catégorie des libertés fondamentales. C'est ce que la Cour de cassation a décidé, au terme d'une longue procédure judiciaire largement relayée par les médias, au sujet d'un adepte du port du bermuda n'ayant que peu de contact avec des tiers à l'entreprise (Soc., 28 mai 2003, pourvoi n° 02-40.273, www.legifrance.gouv.fr).

Qu'en est-il lorsqu'un salarié décide, au cours de l'exécution du contrat de travail, de porter une tenue vestimentaire pouvant être considérée comme un signe distinctif religieux ?

Citons le cas d'une jeune femme employée par une entreprise de télémarketing a été licenciée, au mois de juillet 2002 "pour violation de l'interdiction de porter un signe distinctif religieux", car elle refusait de nouer son "hijab" pour lui faire prendre la forme d'un "bonnet", en lui dégageant la nuque et les oreilles. Le 17 décembre 2002, le conseil des prud'hommes de Paris a estimé qu'elle était victime de discrimination, car elle avait été licenciée en raison "de son apparence physique et de ses convictions religieuses". Par arrêt du 19 juin 2003, la cour d'appel de Paris a considéré que l'employeur avait pris en considération le caractère "islamique" du foulard, de sorte qu'il ne justifiait pas sa décision par des "éléments objectifs, étrangers à toute discrimination.", le condamnant, en conséquence, à réintégrer la salariée, sous astreinte, et à lui verser les salaires qui auraient dus lui être payés depuis son licenciement.

Dans cette affaire, l'entreprise n'avait pas justifié d'exigences particulières en matière vestimentaire compte tenu de la mission à accomplir par les salariés (téléprospection).

Bref, en pareil cas, l'employeur, s'il peut invoquer la règle selon laquelle la liberté de se vêtir à sa guise au temps et au lieu du travail n'est pas une liberté fondamentale, doit prendre garde de ne pas enfreindre les règles de non-discrimination à raison des "convictions religieuses" du salarié, notamment s'il souhaite prendre des sanctions disciplinaires (article L. 122-45 du Code du travail).

Cette décision ne fixe pas pour autant un principe selon lequel l'employeur se verrait interdire toute poursuite disciplinaire du seul fait que la tenue litigieuse est confessionnelle.

Par une autre décision en date du 16 janvier 2004 concernant une autre jeune musulmane embauchée par la même entreprise de téléprospection, qui arborait un foulard de tradition islamique au temps et au lieu du travail, le conseil de prudh'ommes de LYON a estimé que son licenciement pour faute grave était justifié. En l'espèce, la jeune femme avait postulé à un emploi de téléprospectrice vêtue d'un foulard couvrant ses cheveux, son cou et ses oreilles. Il lui a été clairement notifié - c'est à ce titre notamment que cette affaire est différente de celle évoquée précédemment - qu'elle devra se conformer au règlement intérieur de la société qui prohibe le port de tout signe ostentatoire religieux ou politique. Selon , le conseil de prudh'ommes de LYON, l'employeur "n'a pas fait preuve d'attitude discriminatoire", la salariée ayant été informée dès son embauche de l'interdiction de porter le voile inscrite dans le règlement intérieur de l'entreprise.

[Modèle-type de règlement intérieur]

Le conseil de prud'hommes a pris en considération notamment le fait que l'entreprise avait évité d'orienter le conflit sur le terrain religieux, en s'efforçant notamment "de concilier une attitude entêtée de la salariée avec ses intérêts commerciaux, en lui proposant de porter plus discrètement son foulard" (en forme de "bonnet", laissant voir son cou et ses oreilles).

En réalité, on voit mal comment une réponse unique peut être apportée à une multiplicité de situations. Comme le rappelle la Cour de cassation, en vertu de l'article L. 120-2 du Code du travail, un employeur peut "imposer à un salarié des contraintes vestimentaires [...] justifiées par la nature des taches à accomplir et proportionnées au but recherché". Aussi, dans la plupart des cas, la question du port des tenues évoquant une tradition "religieuse" doit donner lieu à un dialogue qui suppose un effort d'ouverture de la part de chaque partie, l'employeur pour s'efforcer de ne pas prendre en considération les convictions religieuses des salariés ni leur apparence physique, le salarié pour s'adapter le mieux possible à son milieu professionnel.

Lorsqu'il est question d'hygiène ou de sécurité, la question ne se pose plus : l'employeur - qui, rappelons-le, peut voir sa responsabilité engagée lorsque certains accidents du travail surviennent - peut, le cas échéant, interdire le port du hijab au temps et au lieu du travail s'il est incompatible avec de telles exigences.

Pascal ALIX
Avocat à la Cour

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