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Le Droit de l'Entreprise

DROIT DU TRAVAIL
Chartes éthiques, codes de conduite et dispositifs d’alerte professionnelle
Publié le 26/01/2011
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Entre droit et éthique, les chartes éthiques ne forment pas une catégorie juridique propre qui justifierait une qualification juridique unique. Issues de la pratique anglo-saxonne, à mi-chemin entre « hard law » et « soft law »[1], ces chartes éthiques se sont développées en lien avec les nouvelles législations tendant à instaurer une meilleure transparence et gouvernance des entreprises.

Concrètement, ces chartes éthiques ou codes de conduite constituent pour les entreprises des outils de gestion, transposition et matérialisation de la « corporate governance » (l'utilisation courante de ce terme anglais pour désigner la gouvernance d'entreprise illustre cette inspiration appréciée ou regrettée sur le droit américain). Ces chartes éthiques constituent un moyen pour l'entreprise, en tant qu'outil de communication, de faire face à la médiatisation en réponse à d'éventuels soupçons de fraude, corruption ou délits d'initié. Enfin, elles s'analysent en un engagement unilatéral de l'employeur dont les salariés pourront se prévaloir, avec en contrepoids des obligations nouvelles créées pour les salariés.

Une source moderne de ces chartes peut se retrouver dans la loi américaine « Sarbanes-Oxley »[2] de 2002 (parfois dite « législation Sarbox »), qui, à la suite des scandales Enron et Worldcom, a imposé aux entreprises cotées sur le marché américain ainsi qu'à leurs filiales étrangères de mettre en place des systèmes d'alerte relatifs à la comptabilité et à la transparence financière sous peine de sanction par la Securities Exchange Commission, l'autorité américaine de régulation des marchés financiers. Le droit français a suivi la voie, notamment avec les lois NRE[3] et la Loi de Sécurité Financière (LSF ou Loi Mer, du 17 juillet 2003). Ainsi est né le système « d'alerte professionnelle » ou « whistleblowing »[4] en anglais.

Pour la Direction Générale du Travail, ces dispositifs d'alerte professionnelle constituent l'organisation des modalités selon lesquelles les salariés peuvent signaler au chef d'entreprise ou à d'autres personnes désignées à cet effet, des pratiques ou incidents pouvant sérieusement affecter son activité ou engager sa responsabilité[5]. Les salariés peuvent généralement accéder à ce dispositif par messagerie électronique (adresse électronique dédiée) ou par téléphone (numéro de téléphone diffusé en interne).

Depuis l'adoption par la CNIL de la décision d'autorisation unique du 8 décembre 2005, l'organisme qui veut mettre en place un dispositif d'alerte doit adresser à la CNIL un engagement de conformité à cette décision. Cette formalité s'effectue en français et vaut, sous certaines conditions, autorisation de transfert des données vers des pays n'appartenant pas à l'Union européenne (nécessaire en cas de transmission d'informations vers les Etats-Unis, par exemple). Si le dispositif envisagé n'est pas conforme à la décision du 8 décembre 2005, l'organisme doit déposer auprès de la CNIL un dossier complet de demande d'autorisation[6] examiné dans les deux mois suivant son dépôt (sauf nécessité d'un complément d'information).

La délibération CNIL du 8 décembre 2005[7] nous livre les conditions de validité des dispositifs d'alerte professionnelle. Ceux-ci doivent trouver leur fondement à travers une obligation législative ou réglementaire de droit français dans les domaines financier, comptable, bancaire et de la lutte contre la corruption, ou bien à travers un intérêt légitime (le respect des dispositions de la loi Sarbanes-Oxley notamment). Le dispositif doit avoir une portée complémentaire (aux recours hiérarchiques, auprès des représentants du personnel etc.), être d'utilisation facultative pour le salarié, doit avoir un champ restreint et nécessite une information sur le droit d'accès et de rectification des données, sur la confidentialité et sur le respect des droits de la défense.

Les chartes éthiques peuvent entendre intégrer des dispositifs d'alerte professionnelle, sans que cela soit une obligation. C'est pourquoi il est parfois difficile de qualifier ces chartes en droit. La charte éthique devra être considérée in concreto, au regard de son contenu et des obligations qu'elle fait naitre.

Régime juridique des chartes éthiques et codes de conduite

La circulaire de la DGT (Direction Général du Travail) du Ministère du Travail du 19 novembre 2008 relative aux chartes éthiques, les définit comme « un outil permettant, à l'inverse du règlement intérieur dont le champ est légalement limité, de réunir en un document, selon un contenu et un degré de précision variables, les engagements et obligations respectifs de l'employeur et des salariés dans le cadre de l'exécution du contrat de travail. Ils sont parfois accompagnés de la mise en place d'un dispositif d'alerte professionnelle. L'ensemble des dispositifs éthiques participent d'une démarche de prévention des risques devant permettre une amélioration des performances de l'entreprise »[8].

Le contenu de ces chartes éthiques et codes de conduite peut donc être divers ; ils doivent donner lieu à une information individuelle des salariés devront être informés individuellement[9], ainsi qu'à une information et à une consultation préalable du Comité d'entreprise[10] (dans les entreprises dont l'effectif requiert la présence d'un C.E.), notamment quant aux dispositions relevant du règlement intérieur[11] ; en l'absence de dispositions relevant du règlement intérieur, l'information et la consultation du Comité d'entreprise ne seront requises que pour les questions intéressant la gestion et la marche générale de l'entreprise[12].

Quant au contrôle administratif, son étendue dépendra du contenu : l'inspecteur du travail contrôlera les dispositions relevant du règlement intérieur[13] et pourra prendre connaissance de l'ensemble du code de conduite au titre de sa compétence générale de contrôle ainsi qu'il pourra formuler des observations. En tant que garant des libertés, le juge pourra, en cas de non-conformité aux dispositions légales et réglementaires, relatives notamment à la liberté d'expression, annuler une ou plusieurs clauses du code de conduite[14] ; Le juge sera d'autant plus vigilant qu'il s'agit de décisions unilatérales de l'employeur qui ne figurent pas dans le règlement intérieur, et qui peuvent donner lieu à des sanctions disciplinaires à la discrétion de l'employeur.

Application : l'arrêt Dassault systèmes

Dans l'arrêt Dassault Systèmes (Cass. soc., 8 décembre 2009, pourvoir n°08-17.191, arrêt n°2524 FS+P+B+R+I), la société Dassault Systèmes a élaboré un « Code of business conduct », dans l'objectif de se mettre en conformité avec la loi américaine Sarbanes-Oxley. Parmi les dispositions de ce code de conduite, la société oblige tout membre du personnel à demander une autorisation expresse à son auteur avant d'utiliser une information confidentielle mais aussi pour toute « information d'usage interne ». La clause vise ici les « notes de service, informations envoyées aux collaborateurs, organigrammes, objectifs et données se rapportant aux équipes, caractéristiques techniques, formules, dessins et modèles, inventions ».

La fédération CGT de la Métallurgie a invoqué l'illicéité de ce code en soulevant que cette clause qui restreint le droit d'utiliser librement des informations à usage interne (étendant ainsi l'obligation de confidentialité) porterait une atteinte injustifiée à la liberté d'expression des salariés. De plus elle a observé que les sujets de discussion interdits sont parmi des thématiques qui devraient pouvoir être abordées en séance de droit d'expression directe des salariés. Enfin, elle a relevé des irrégularités aux regard de la législation relative au traitement et à la protection des données (l'employeur a inséré des dispositions dans la demande d'autorisation unique n'ayant pas de lien avec le dispositif d'alerte car plus larges que le contrôle interne dans les domaines financiers, comptable, bancaire et de lutte contre la corruption, aussi l'entreprise n'aurait pas du bénéficier du régime d'autorisation unique ; ainsi que le « Code of business conduct » ne contenait pas les mesures d'informations prévues par la loi du 6 janvier 1978 pour assurer la protection des salariés).

Selon le tribunal de grande instance de Nanterre statuant en première instance sur cette affaire, la clause portait atteinte aux libertés fondamentales des salariés. La cour d'appel de Versailles a réformé cette décision, en jugeant licite la clause incriminée ; sans doute au regard de l'objectif poursuivi par la clause. Mais la Cour de cassation a censuré et annulé la décision de la Cour d'appel, en toutes ses dispositions, sur pourvoi de la fédération CGT de la métallurgie.

Tout d'abord, la Cour de cassation a décidé que la Cour d'appel avait violé les articles L. 1121-1 et L. 2281-1 du code du travail, la clause litigieuse restreignant de manière trop large et trop imprécise la liberté d'expression individuelle. En effet, en l'absence de définition précise des informations à usage interne, il était impossible de vérifier que la restriction à la liberté d'expression est justifiée et proportionnée. En ce sens, la Cour de cassation a opéré un contrôle assez étroit de la clause, en considérant qu'elle ne définissait pas assez précisément les informations concernées ; les exemples donnés par la clause auraient du être des contenus et non des supports d'information.

La Cour de cassation rappelle, à cette occasion, que la liberté d'expression des salariés ne peut subir des restrictions que si elles sont « justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché ».

La Cour de cassation pose ici une double condition :

- d'une part en subordonnant la restriction à un lien avec la tache à accomplir (au regard de la « nature » de la tâche, ce qui nous laisse penser que l'appréciation pourra se faire objectivement),

- d'autre part en respectant le principe de proportionnalité qui est le principe d'adéquation des moyens au but recherché ; en d'autres termes, la restriction ne doit pas avoir un champ trop large au risque d'être sanctionnée.

De cette façon, la Cour de cassation réaffirme le caractère essentiel de la liberté d'expression dans l'entreprise et en dehors de celle-ci à travers l'article L1121-1 du Code du travail. Ce droit essentiel trouve son fondement constitutionnel dans l'article 11 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen du 26 août 1789 qui énonce que « tout citoyen peut parler, écrire, imprimer librement sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi ». Il était important de le rappeler.

La Cour de cassation a également rappelé le droit, spécifique, d'expression directe et collective des salariés, issu de la loi Auroux du 4 août 1982 (article L2281-1 du Code du travail). Ce droit, un temps oublié, semble renaître dans cet arrêt en ce que l'exercice de ce droit peut impliquer l'utilisation de certaines des informations visées par la clause. La Cour de cassation rappelle que ce droit s'exerce sur le contenu, les conditions d'exercice et l'organisation de leur travail par les salariés ; et qu'ainsi l'utilisation d'informations dans le cadre de l'exercice de ce droit ne peut être en principe soumise à une autorisation préalable, ce qui justifie une censure de la clause litigieuse.

Dans le cas présent, l'argument de l'atteinte à la liberté d'expression individuelle aurait suffi pour casser l'arrêt. Face au développement des chartes éthiques et codes de conduite, la sanction du manquement à ce droit peut être un élément particulièrement pertinent pour encadrer leur rédaction. Le juge contrôlera, en pratique, si les restrictions sont suffisamment définies et limitées, indispensables à la protection des intérêts légitimes de l'entreprise, justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché.

En conséquence de cette solution, on observera que la décision fait naître des difficultés pratiques en encadrant fortement la rédaction des règles relatives à la diffusion d'informations de l'entreprise. On retiendra notamment que l'obligation de discrétion ne doit pas être trop générale sous peine de porter atteinte à la liberté d'expression et au droit d'expression des salariés, tout comme les informations concernées doivent être définies très précisément avec des exemples de contenus d'information.

Une difficulté nait de ce qu'en principe, l'utilisation d'informations dans le cadre de l'exercice du droit d'expression collective des salariés sur l'organisation de leur travail ne peut être soumise à autorisation préalable[15] ; quid ici des exceptions ? La question n'est pas résolue par la Cour de cassation.

Enfin, en cas de doute lors de la rédaction d'un code de conduite ou d'une charte éthique, pour éviter la menace d'une annulation judicaire, on conseillera de ne pas prévoir ni prendre de sanctions disciplinaires sur le fondement de la charte éthique, mais éventuellement sur le fondement de l'obligation de loyauté et de discrétion inhérente au contrat de travail.

Avec la participation de Me Tuyêt-Thi Nguyen, avocat à la Cour et de M. Corentin Kerhuel.



[1] Rapport 2006 du Conseil d'État, jurisprudence et avis de 2005, Sécurité juridique et complexité du droit. La documentation Française. ISBN 2-11-006050-6

[2] Pub. L. No. 107-204, 116 Stat. 745, Sarbanes-Oxley Act, 31 juillet 2002

[3] Voir art. 116 de la loi n°2001-420 du 15 mai 2001

[4] La traduction du terme anglais par la Commission générale de terminologie et de néologie a été publiée par un avis au JO du 7 septembre 2007

[5] Circ. DGT n°2008-22, 19 nov. 2008

[6] A cette fin, la CNIL recommande de prendre connaissance des décisions de la CNIL des 26 mai, 10 novembre et 8 décembre 2005 avant l'envoi d'un tel dossier.

[7] Délibération n° 2005-305 du 8 décembre 2005 portant autorisation unique de traitements automatisés de données à caractère personnel mis en œuvre dans le cadre de dispositifs d'alerte professionnelle

[8] Circ. DGT n°2008-22, 19 nov. 2008

[9] Article L1222-4 du Code du travail

[10] Article L2323-32 du Code du travail

[11] Article L122-36 du Code du travail

[12] Article L2323-6 du Code du travail

[13] Article L1321-1 du Code du travail

[14] Voir par exemple, Ch. Soc. 9 juin 1998, n°95-45.019

[15] Article L22281-1 du Code du travail

Pascal ALIX
Avocat à la Cour



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