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Le Droit de l'Entreprise

DROIT DU TRAVAIL
La gestion des contrats comportant des clauses de non-concurrence depuis les arrêts de l'été 2002
Publié le 15/09/2002
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Les arrêts de la Cour de cassation des 10 juillet (Cass., soc., 10 juillet 2002 (3 arrêts), n° 99-43.334, 00-45.387, 00-45.135, JSL n° 108-2) et 18 septembre 2002 (Cass., soc., 18 septembre 2002, n° 00-42.904), relatifs aux clauses de non concurrence, ont provoqué - et provoquent toujours - l'émoi au sein de certaines DRH. Les entreprises se posent de multiples questions quant aux conséquences pratiques de cette jurisprudence. Comment régulariser la situation en présence d'une clause non conforme ? Peut-on dénoncer unilatéralement une clause non-conforme ? Que faire lorsque le contrat est déjà rompu et que le salarié se trouve en période de non-concurrence ? Doit-on encore insérer des clauses de non-concurrence ? Dans quels cas et avec quelle contrepartie financières ? Dans quelle mesure le juge peut-il réduire la limitation dans le temps et dans l'espace de la clause ?

Des conditions de plus en plus strictes

Les clauses de non-concurrence doivent concilier le mieux possible des impératifs contradictoires, à savoir les intérêts de l'entreprise, le principe de la libre concurrence et celui de la liberté du travail.

Depuis une vingtaine d'année, la Cour de cassation a mis l'accent sur la nécessité de respecter la liberté du travail. Dans son arrêt Godissart (dit "du laveur de carreaux") du 14 mai 1992 (Cass., soc., 14 mai 1992, n° 89-45.300), la Cour de cassation a énoncé que "Si en raison des fonctions d'un salarié, la clause de non-concurrence insérée dans son contrat de travail n'est pas indispensable à la protection des intérêts légitimes de l'entreprise qui l'emploie, l'employeur ne peut se prévaloir de cette clause". Dans l'arrêt Martinez, du 19 novembre 1996 (Cass., soc., 19 novembre 1996, n° 94-19.404), la Haute Juridiction a réaffirmé cette règle en s'appuyant sur le principe de la liberté du travail, présenté comme un principe constitutionnel.

En se fondant sur le "principe fondamental du libre exercice d'une activité professionnelle" - nouvelle expression du principe constitutionnel de la liberté du travail - et surtout sur l'article L. 120-2 du Code du travail - selon lequel "nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives des restrictions qui ne sont pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché" la Cour de cassation soumet désormais la licéité des clauses de non-concurrence à la réunion de cinq conditions cumulatives :
- le caractère indispensable de la protection des intérêts légitimes de l'entreprise,
- la limitation dans l'espace du champ d'application de l'obligation de non-concurrence,
- la limitation dans le temps du champ d'application de l'obligation de non-concurrence,
- la prise en considération des spécificités de l'emploi du salarié,
- et l'obligation pour l'employeur de payer au salarié une indemnité à titre de contrepartie financière de l'obligation de non-concurrence.

L'indemnité "de non-concurrence" est désormais obligatoire quelles que soient les dispositions de la convention collective applicable. Il est nécessaire de rappeler que l'indemnité ne doit pas être dérisoire par rapport au minimum conventionnel, à peine de nullité (Cass., soc., 13 janvier 1998, n° 98-41.480).

La clause doit désormais être limitée à la fois dans le temps et dans l'espace. Auparavant ces conditions étaient, au regard de la jurisprudence de la Cour de cassation, alternatives. Néanmoins, la portée pratique de cette nouvelle règle est assez réduite car les clauses prévoient presque systématiquement une limitation à la fois dans le temps et dans l'espace, afin de limiter l'entrave à la liberté du travail du salarié.

S'agissant de la nécessaire prise en considération des "spécificités de l'emploi du salarié", le nature et la portée de la condition ne sont pas d'une clarté absolue.

On y voit de la reformulation de l'exigence ancienne de ne pas mettre le salarié dans l'impossibilité d'exercer toute activité professionnelle au regard des ses compétences (M-C. Haller, la contrepartie financière devient une condition de validité de toute clause de non-concurrence, note sous Soc. 10 juillet 2002 (3 arrêts), JSL n° 108-2). On y voit également un critère pour fixer les limites de l'interdiction et sa contrepartie financière (C. Goasgen et A. Dupays, Bulletin d'actualité - Lamy Social, n° 161 - septembre 2002).

Quelle sanction en cas d'irrégularité ?

Il est acquis que si les cinq conditions ne sont pas réunies, l'employeur ne peut se prévaloir de la clause à l'égard du salarié, pour limiter ses activités professionnelles après la rupture du contrat de travail. Mais la clause est-elle nulle, inopposable ou perd elle simplement sa force obligatoire à l'égard du salarié ?

Si l'on se reporte à la jurisprudence relative à l'article 74 du Code de commerce local d'Alsace-Moselle - concernant les employés du commerce - qui subordonne depuis fort longtemps la validité de la clause à une contrepartie financière, la clause perd, en l'absence de contrepartie financière, son caractère obligatoire à l'égard du salarié (Par ex. Cass., Soc., 12 février 1969, n° 67-40.422).

Mais les arrêts du 10 juillet 2002 prévoient que si le conditions énoncées ne sont pas réunies, la clause n'est pas "licite". La Cour de cassation a décidé, rappelons-le, qu'une clause était nulle faute d'avoir prévu les modalités de l'indemnité de non-concurrence, alors que la convention collective applicable renvoyait au contrat pour lesdites modalités (Cass., Soc., 3 juillet 2001, n° 98-44.139). De sorte que faute de prévoir une contrepartie financière au profit du salarié, la clause peut être annulée (En ce sens, déjà : Cass., Soc., 2 février 1999, n° 97-40.356, pour une clause dépourvue de contrepartie financière et qui porte atteinte à la liberté du travail).

Le terme "licite", employé par la Cour de cassation semble conduire à la même solution en l'absence de l'une quelconque des conditions visées.

Qui peut invoquer la nullité ?

La nullité de la clause de non-concurrence est une nullité relative, instaurée au seul profit du salarié qui peut ainsi faire sanctionner l'atteinte disproportionnée portée à la liberté du travail (Cass., soc., 17 juillet 1997, n° 95-40.869).

De sorte que l'employeur ne pourrait se prévaloir de la nullité de la clause pour se libérer, en dehors des conditions prévues par le contrat et la convention collective, de son engagement et de ses conséquences pécuniaires contractuelles ou conventionnelles (Cass., soc., 17 juillet 1997, n° 95-40.869, précité; Cass., soc., 3 mai 1989, 86-41.452).

L'employeur ne peut se libérer, nous le verrons, que dans certaines conditions, prévues par la convention collective. Non pas en invoquant la nullité de la clause, mais en la dénonçant.

Modifier les clauses de non-concurrence irrégulières en cours d'exécution du contrat

La jurisprudence de la Cour de cassation étant rétroactive, toutes les entreprises ayant conclu des contrats de travail susceptibles de contenir des obligations de non-concurrence à la charge de certains salariés sont tenues de procéder à une relecture systématique de ces contrats, sauf à s'exposer à des risques juridiques et financiers.

Mais comment modifier, le cas échéant les clauses de non-concurrence non conformes ?

Il convient de rappeler que l'employeur ne peut, en principe, modifier unilatéralement une clause de non-concurrence.

L'insertion d'une clause de non-concurrence requiert l'accord du salarié (Cass., soc., 7 juillet 1998, n° 96-40.256, JSL n° 21-5; Cass., soc., 16 décembre 1998, n° 96-41.845). Par ailleurs, l'employeur ne peut renoncer partiellement à l'application d'une clause de non-concurrence sans l'accord du salarié, même lorsqu'il a le pouvoir d'y renoncer en totalité (Cass., soc., 13 juillet 1988, n° 84-43.862, Bull. V, n° 444).

Il convient de rappeler que si un accord collectif ne peut supprimer la contrepartie financière de l'obligation de non-concurrence (Cass., soc., 25 février 1998, n° 95-45.171) un tel accord peut ajouter l'obligation de prévoir le paiement d'une indemnité de non-concurrence (Cass., soc., 19 novembre 1997, n° 95-40.280).

Aussi, deux possibilités s'offrent-elles aux employeurs :
- négocier une modification de la clause (et notamment une indemnité de non-concurrence) avec chaque salarié pris individuellement,
- organiser une négociation collective pour définir le contenu et les modalités de la clause de non-concurrence.

Le choix de la méthode dépend notamment du secteur, de la structure et de l'effectif de l'entreprise.

Dénoncer unilatéralement les clauses de non-concurrence irrégulières

Pour des raisons d'opportunité liées notamment aux risques juridiques et financiers, l'entreprise peut décider de dénoncer unilatéralement la clause en cours d'exécution du contrat et, lorsque c'est encore possible, lors de la rupture du contrat ou immédiatement après la rupture.

Il convient alors de se référer au contrat et à la convention collective applicable. La renonciation unilatérale à la clause par l'employeur n'est possible, en effet, que dans certaines hypothèses particulières :
- si la clause est d'intérêt commun (présence d'une contrepartie financière), la renonciation unilatérale nous paraît exclue (cass., soc., 17 février 1993, n° 89-43.658), bien qu'une décision d'espèce ait considéré qu'elle pouvait être mise en oeuvre en ce cas conformément à la convention collective (cass., soc., 7 mars 2000, n° 98-40.659),
- si la clause est stipulée au seul profit de l'employeur, la renonciation unilatérale est possible dès lors qu'elle est prévue par la convention collective (cass., soc., 19 juillet 1988, n° 85-43.179) et que le contrat ne prévoit pas une renonciation d'un commun accord.

Lorsque la renonciation unilatérale a la clause est possible, elle doit être :
- expresse et précise (en pratique, par lettre motivée, recommandée avec demande d'avis de réception),
- effectuée pendant l'exécution du contrat de travail ou dans le délai conventionnel après sa rupture.

Est-il utile d'insérer des clauses de non-concurrence dans les nouveaux contrats de travail ?

Depuis le mois de juillet 2002, l'obligation de non-concurrence a nécessairement un coût. Rappelons que les employeurs ne peuvent en aucun cas contourner la difficulté en octroyant une indemnité dérisoire au salarié, notamment lorsque le montant de l'indemnité est fixé par la convention collective.

Aussi les entreprises doivent-elles y regarder à deux fois avant d'insérer une clause de non-concurrence dans un contrat de travail.

On conseille alors de n'insérer une telle clause qu'à bon escient, uniquement pour les salariés susceptibles de faire profiter un concurrent direct de la maîtrise d'une technologie innovante, d'un savoir-faire rare ou de relations privilégiées avec un réseau de clients.

Quelle contrepartie financière ?

Au regard de la jurisprudence, l'on sait seulement que l'indemnité de non-concurrence ne doit pas être dérisoire et que, constituant une rémunération et non une fixation forfaitaire de dommages et intérêts (clause pénale), elle ne peut être, a priori, modifiée par le juge (Cass., soc., 17 octobre 1984, n° 82-41.114; Cass., soc., 19 juillet 1988, n° 85-43.719).

Les bases de calcul de l'indemnité varient, selon les conventions collectives, entre 1/4 et 2/3 de la rémunération brute mensuelle du salarié, à payer pendant la durée d'effet de la clause. Beaucoup de conventions collectives fixent le montant de l'indemnité de non-concurrence à 1/2 de la rémunération mensuelle brute.

Mais ces indications ne suffisent pas. L'indemnité de non-concurrence est la contrepartie d'une obligation de ne pas faire, qui produit ses effets après la rupture du contrat. Ses bases de calcul doivent être fixées en fonction de l'entrave au libre exercice professionnel qu'entraîne la clause. Elles doivent donc être fixées en fonction des limitations temporelles et spatiales qui s'imposent au salarié.

Il est donc probable que le contrôle de proportionnalité s'étende peu à peu à l'évaluation de la contrepartie financière, en l'absence de dispositions dans la convention collective applicable et qu'à défaut de contrepartie financière proportionnelle à l'entrave, l'employeur ne puisse se prévaloir de l'interdiction contractuelle de concurrence.

La limitation de la portée de la clause de non concurrence licite

Le 18 septembre 2002, la Cour de cassation a décidé que "le juge, en présence d'une clause de non-concurrence insérée dans un contrat de travail, même indispensable à la protection des intérêts légitimes de l'entreprise, peut, lorsque cette clause ne permet pas au salarié d'exercer une activité conforme à sa formation et à son expérience professionnelle, en restreindre l'application en en limitant l'effet dans le temps, l'espace ou ses autres modalités".

Il ne s'agit pas réellement d'une nouveauté. La Cour de cassation avait décidé, dans un arrêt du 25 mars 1998 (Cass., soc., 25 mars 1998, n° 95-41.543) qu'une Cour d'appel avait "pu décider qu'il y avait lieu de réduire le champ d'application géographique de la clause aux seuls départements dans lesquels le salarié avait effectivement exercé ses fonctions" alors que le champ d'application géographique était national, car il s'agissait d'une entrave à la liberté du travail. Toutefois, il n'est pas inutile de savoir qu'après les arrêts du 10 juillet 2002, la Cour de cassation réaffirme le pouvoir de modification judiciaire des clauses licites, dès lors qu'elles sont susceptibles d'entraver la liberté du travail.

La jurisprudence de la Cour de cassation ne permet aucunement de savoir jusqu'où les juridictions prud'homales peuvent aller dans l'exercice de leur pouvoir de réfaction.

Les entreprises naviguent non seulement entre des écueils (les arrêts du 10 juillet 2002), mais également dans le brouillard (l'arrêt du 18 septembre 2002).

L'interdiction contractuelle de concurrence est soumise à un aléa judiciaire tel que la question de son utilité en pratique commence à se poser, compte tenu des risques encourus. Rappelons, à cette occasion, que le préjudice causé par l'entrave à la liberté du travail peut, dans certains cas, engager la responsabilité de l'entreprise et justifier le paiement de dommages et intérêts

Comment protéger utilement les intérêts de l'entreprise ?

Les entreprises qui œuvrent dans les secteurs où la "matière grise" ou le savoir-faire est l'élément-clé - c'est à dire dans la plupart des secteurs d'activité - expriment leurs craintes.

N'y-a t'il pas un risque de voir les salariés monnayer plus facilement leurs services auprès des concurrents et concurrencer immédiatement après la rupture du contrat de travail l'entreprise qu'ils viennent de quitter ? Assurément. Le salarié sera bientôt libre de se faire embaucher où il veut et par qui il veut après la fin de son contrat de travail. C'est, du reste, l'une de voies proposées à la Cour de cassation, à savoir celle de l'interdiction pure et simple de la clause de non-concurrence (conclusions Kehrig sous Cass., soc., 10 juillet 2002).

Toutefois, si le champ de la concurrence contractuellement interdite se réduit comme une peau de chagrin, cette évolution est sans effet sur les critères de la concurrence déloyale. C'est donc sur ce terrain que les entreprises devront bientôt se situer pour protéger leurs intérêts.

Exemple de clause de non-concurrence (développée) : modèle.

Pascal ALIX
Avocat à la Cour



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