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Le Droit de l'Entreprise

DROIT DE L'INTERNET
Le droit des jeux en ligne (I)
Publié le 11/09/2009
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Les jeux vidéo en ligne connaissent un développement considérable depuis quelques années grâce à l'avènement de l'Internet haut débit. Ils ont pour particularité de proposer un univers virtuel persistant entretenu par l'éditeur et évoluant de manière continue et indépendante des actions du joueur, même lorsque celui-ci se déconnecte du jeu.

Du fait des différentes interactions entre le monde réel et le monde virtuel, il est nécessaire de définir un cadre juridique des relations entre joueurs et éditeur et des relations entre joueurs. Si un certain nombre de dispositions législatives et réglementaires leur sont d'ores et déjà applicables, les jeux vidéo en ligne soulèvent de nombreuses questions juridiques nouvelles.

I. L'application de règles de droit existantes aux jeux en ligne

De nombreuses règles existantes sont susceptibles de s'appliquer aux jeux vidéo en ligne.

1. Réglementation sur les données à caractère personnel

Quel que soit le type de jeu vidéo en ligne, avant de pouvoir jouer, il faut généralement créer un compte utilisateur et un profil. Le joueur est alors amené à fournir des données à caractère personnel, notamment son adresse email.

Les éditeurs et hébergeurs de jeux en ligne doivent donc respecter la loi "Informatique et Libertés" du 6 janvier 1978, en particulier : déclarer le traitement de données à la CNIL, collecter les données de manière loyale et licite avec le consentement de la personne, assurer la sécurité des données etc.

En outre, les éditeurs de jeux en ligne qui stockent des données concernant les joueurs français sur des serveurs situés hors de l'Union européenne sont soumis a un régime plus strict. Ils doivent notamment informer les personnes concernées au préalable de l'éventualité de ce transfert.

2. La liberté d'expression et ses limites

La liberté d'expression est un principe fondamental qui se traduit, dans le domaine de l'Internet, par la liberté de communication au public par voie électronique. Cette liberté peut cependant être limitée, en droit français, dans la mesure requise notamment par le respect de la dignité de la personne humaine, de la liberté et de la propriété d'autrui et par la sauvegarde de l'ordre public [1].

Ainsi, sont interdits l'apologie des crimes contre l'humanité, l'incitation à la discrimination ou à la haine raciale, les propos diffamatoires, les atteintes à la vie privée ou encore les contenus pédopornographiques.

Outre le fait que les éditeurs de jeux doivent veiller à ce qu'aucun élément du jeu ne puisse être analysé comme de tels contenus, la question se pose de la responsabilité applicable pour les propos échangés par les joueurs dans le cadre du jeu. Cette question rejoint alors celle de la responsabilité des opérateurs de forums de discussion en général, avec l'existence de deux régimes de responsabilité différents, celui des éditeurs et celui des hébergeurs [2].

La jurisprudence ne fixe pas encore de règle claire qui permette de déterminer aisément si l'un ou l'autre de ces régimes est applicable au maître du jeu. Tout dépend des circonstances.

3. La protection des mineurs

La loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance [3] prévoit que "lorsqu'un document fixé par [un procédé déchiffrable par voie électronique en mode analogique ou en mode numérique] peut présenter un risque pour la jeunesse en raison de la place faite au crime, à la violence, à l'incitation à l'usage, à la détention ou au trafic de stupéfiants, à l'incitation à la consommation excessive d'alcool ainsi qu'à la discrimination ou à la haine contre une personne déterminée ou un groupe de personnes, le support et chaque unité de son conditionnement doivent faire l'objet d'une signalétique spécifique au regard de ce risque".

Dans le domaine des jeux vidéo, il existe déjà un système autorégulé de signalétique accepté dans la plupart des pays européens, le système PEGI (Pan European Game Information), qui se compose d'une classification par âge et d'une classification par contenus.

Le Forum des droits sur l'internet (FDI) recommande que la signalétique prévue par la loi précitée soit la signalétique PEGI en matière de jeux vidéo, afin d'éviter la multiplication des systèmes de classification et de confusion dans l'esprit du public [4].

Cependant, ainsi que le relève le FDI, une difficulté se pose en pratique, lorsque le jeu n'est pas acheté physiquement dans le commerce mais téléchargé en ligne, la signalétique devant figurer sur "le support et chaque unité de son conditionnement". Le FDI recommande alors la présence de la signalétique sur la page de téléchargement du jeu et à chaque lancement de celui-ci.

De plus, les jeux en ligne compliquent la donne en raison de leur caractère évolutif et du fait que les joueurs peuvent parfois inclure leurs propres contenus dans le jeu. Le système "PEGI Online" a alors été mis en place afin d'adapter le système PEGI aux jeux en ligne. Il s'appuie essentiellement sur un code de conduite que les signataires s'engagent à respecter.

4. La protection de la propriété intellectuelle

La protection des droits de propriété intellectuelle s'applique sur Internet. Par exemple, un éditeur de jeu en ligne ne peut reproduire une marque dans le jeu vidéo sans l'autorisation du titulaire de la marque (cette reproduction pouvant, le cas échéant) être considéré comme une contrefaçon et/ou un acte de "parasitisme" consistant à profiter de la notoriété d'une marque pour développer le nombre des abonnés).

Mais le jeu vidéo en ligne peut lui-même faire l'objet d'une contrefaçon, par exemple par la reproduction de la mise en page du site ou d'éléments graphiques du jeu. La question de la protection des droits de propriété intellectuelle soulève la question du titulaire de ces droits. Or, la qualification juridique du jeu vidéo est déterminante pour répondre à cette question.

5. La qualification juridique du jeu vidéo

La qualification juridique du jeu vidéo est une question à laquelle ni la loi, ni la jurisprudence ni la doctrine n'ont donné de réponse définitive.

La Cour de cassation a tout d'abord admis que le jeu vidéo constituait une oeuvre de l'esprit au sens du Code de la propriété intellectuelle, pouvant être protégée par le droit d'auteur [5].

Deux conceptions se sont alors opposées : soit une conception unitaire du jeu vidéo, en tant que logiciel ou oeuvre audiovisuelle, soit une conception distributive qui consiste à éclater les différentes composantes de cette oeuvre complexe que constitue un jeu vidéo et appliquer à chacune la qualification et le régime approprié.

Le jeu vidéo peut également être qualifié, en fonction de son mode d'élaboration et non plus par sa nature, d'oeuvre collective ou d'oeuvre de collaboration.

La qualification d'oeuvre collective est souvent recherchée par l'éditeur du jeu car elle lui permet d'être investi des droits d'auteur. La qualification d'oeuvre de collaboration (reconnue à l'oeuvre audiovisuelle par exemple) confère à tous les co-auteurs une copropriété sur les droits d'auteur de l'oeuvre.

La Cour de cassation a rejeté la qualification d'oeuvre audiovisuelle en s'appuyant sur le caractère interactif du jeu qui s'oppose au caractère linéaire des oeuvres audiovisuelles [6].

La Cour d'appel de Paris a, quant à elle, écarté la qualification de logiciel en qualifiant les jeux vidéo d' "oeuvres multimédia qui ne se réduisent pas au logiciel qui permet leur exécution" [7]. Elle écarte ainsi la conception unitaire du jeu vidéo en le considérant comme une oeuvre complexe à laquelle le régime de l'oeuvre de collaboration s'applique, garantissant un équilibre entre les intérêts de l'éditeur et des auteurs des différentes composantes du jeu (en l'espèce les musiques intégrées dans le jeu).

En d'autres termes, il s'agit d'une oeuvre de l'esprit complexe qui emprunte des caractères aux oeuvres multimédia non interactive et aux logiciels.

Par ailleurs, le statut d'auteur et celui de joueur tendent à interagir de plus en plus. En effet, les nouveaux jeux en ligne massivement multijoueurs (MMOG) permettent au joueur de créer ses propres objets dans un environnement qu'il aura personnalisé. La question se pose alors de savoir si le joueur dispose de droits d'auteur sur les objets virtuels créés, parmi de nombreuses autres questions.

II. Les nouvelles problématiques juridiques spécifiques aux jeux vidéo en ligne

1. La personnalité juridique virtuelle

La particularité des nouvelles générations de MMOG est de laisser aux joueurs une grande liberté de création. Le joueur dispose d'outils de modélisation et de création de divers objets ainsi que de son personnage. Il peut ainsi personnaliser forme, taille, couleur, style etc. ("crafting moderne") [8].

Ainsi, un personnage virtuel, qui bénéficie parfois d'une grande renommée ou reconnaissance dans l'espace virtuel, peut-il se voir reconnaître une personnalité juridique impliquant des droits et des obligations ?

L'idée a été soutenue, l'auteur avançant notamment que pour répondre à une réalité pratique, le droit a créé la fiction juridique de la personnalité morale et que la reconnaissance d'une personnalité virtuelle pourrait s'inscrire dans une même logique [9].

2. La propriété virtuelle

De même, on peut s'interroger sur l'existence d'un droit de propriété appartenant au joueur. Cette propriété peut être virtuelle ou intellectuelle.

- Tout d'abord, le joueur peut vouloir revendiquer un droit de propriété "virtuelle" sur ses objets numériques en raison du temps de jeu et de l'argent consacré à leur acquisition.

L'éditeur du jeu va quant à lui revendiquer la propriété de la totalité des éléments du jeu, étant propriétaire du logiciel et du monde virtuel qu'il met à la disposition des joueurs.

La question est le plus souvent réglée par le CLUF (contrat de licence d'utilisateur final) par lequel l'éditeur définit les conditions d'utilisation (règles du jeu etc.) auxquelles le joueur doit se conformer. Ainsi, en acceptant les termes du jeu, le joueur renonce, le cas échéant, à toute revendication d'un quelconque droit de propriété sur les objets virtuels [10].

- La question demeure délicate s'agissant des droits de propriété intellectuelle des joueurs, plus précisément des droits d'auteur, sur les objets virtuels ou l'avatar qu'ils créent.

En effet, le droit d'auteur a vocation à s'appliquer à toute oeuvre de l'esprit, quels qu'en soient le genre, la forme d'expression, le mérite ou la destination (article L. 112-1 du Code de la propriété intellectuelle) dès lors que l'oeuvre est originale et du seul fait de sa création.

Ainsi, si un joueur crée un avatar ou un objet virtuel répondant à la condition d'originalité, il pourrait revendiquer un droit d'auteur sur ses créations. Le droit d'auteur est même parfois expressément reconnu par l'éditeur dans le contrat de licence, comme c'est le cas pour Second Life (qui n'est pas tout à fait un jeu mais une communauté virtuelle) [11].

L'éditeur et les joueurs, dont les intérêts divergent, possèdent ainsi différents arguments pour revendiquer un droit d'auteur sur les objets numériques. Aucune décision ne s'est encore prononcée clairement à ce jour sur la possibilité d'appliquer le droit d'auteur aux objets virtuels créés par les joueurs.

L'enjeu de la question de l'existence de droits de propriété conférés au joueur est important au regard du développement du commerce parallèle d'objets virtuels.

3. Le commerce parallèle d'objets virtuels

Avec le développement des MMOG est apparue la vente d'objets virtuels s'effectuant avec de la monnaie virtuelle ou de la monnaie réelle.

Indépendamment de la question de la nature juridique de la monnaie virtuelle, le droit applicable est encore flou s'agissant du commerce de biens virtuels avec de la monnaie réelle, qui s'effectue le plus souvent en dehors des règles établies par l'éditeur du jeu.

Le site d'enchères eBay a décidé d'interdire les transactions portant sur ces objets virtuels car elles porteraient atteinte aux droits de propriété intellectuelle des éditeurs [12].

Pour pouvoir remettre en cause une vente d'objet virtuel pour contrefaçon, l'éditeur devra démontrer que cet objet est protégeable par le droit d'auteur et qu'il est le titulaire de ce droit. La question se complexifie si l'on reconnaît des droits aux joueurs créateurs d'objets virtuels.

La question pourrait se poser également en cas de reconnaissance d'un droit de propriété "virtuelle" du joueur sur les objets conquis dans le cadre du jeu.

Enfin, dès lors que les revenus tirés de la vente d'objets virtuels sortent du cadre du jeu pour intégrer l'économie réelle, il semble que ces revenus devraient être déclarés à l'administration fiscale car ils constitueraient des revenus imposables [13].

4. Les conflits entre joueurs

Les relations entre les joueurs sont également encadrées par les licences d'utilisation établies par les éditeurs. Cependant, en cas de litige et lorsqu'un joueur subit un préjudice, la question se pose de savoir à partir de quel moment le droit commun a vocation à s'appliquer et non plus les conditions d'utilisation [14].

En outre, les licences d'utilisation ne peuvent prévoir à l'avance tous les conflits qui pourraient survenir entre les joueurs, ce d'autant plus que les jeux sont commercialisés dans différents pays ayant des législations différentes.

La gestion des conflits peut se faire à l'amiable, l'éditeur faisant appel à un médiateur qui peut être un joueur respecté dans le monde virtuel. Se pose alors la question de la portée des décisions rendues.

5. La responsabilité en cas de dysfonctionnements du serveur, de perte de données ou de cessation du jeu

Le CLUF, qui gouverne les relations entre les joueurs et l'éditeur et qui permet à ce dernier de fermer un compte utilisateur en cas de non respect de ses dispositions, contient le plus souvent une clause selon laquelle l'éditeur exclut toute responsabilité en cas d'interruption du service ou de tout autre événement qui peut entraîner la perte des données ou l'interruption du service (par exemple le CLUF de World of Warcraft [15]).

En cas de litige, il appartiendra au juge de décider si une telle clause constitue une clause abusive, c'est-à-dire une clause ayant pour objet ou effet de créer, au détriment du non professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat (article L. 132-1 du Code de la consommation).

Par ailleurs, si l'on reconnaît une propriété virtuelle aux joueurs, se pose la question de la réparation de leur préjudice en cas d'altération ou de perte de cette propriété due à la négligence du prestataire de service concernant la sécurité des réseaux, à une défaillance du serveur en cas de force majeure, à un "vol virtuel" commis par un autre joueur, ou encore à la fermeture du jeu par l'éditeur pour des raisons financières. Il faudrait en outre pouvoir évaluer cette propriété virtuelle.

6. La publicité dans les jeux vidéo en ligne

Les jeux vidéo en ligne sont devenus un nouveau support publicitaire et la publicité "in game" devrait connaître un développement considérable.

Les annonces publicitaires insérées dans les jeux doivent respecter les dispositions législatives et réglementaires applicables en matière de publicité, notamment concernant l'identification de la publicité (article 10 de la loi du 1er août 1986 portant réforme du régime juridique de la presse), l'identification de l'annonceur (article 72 du décret n° 84-406 du 30 mai 1984), l'emploi de la langue française (loi Toubon du 4 août 1994), la publicité mensongère et la publicité comparative (articles L. 121-1 et s. du Code de la consommation)…

Le Forum des droits sur l'internet indique qu'un certain nombre de règles déontologiques doivent également être respectées, telles que les Recommandations du Bureau de Vérification de la Publicité (BVP) et la recommandation du CSA du 4 juillet 2006 relative à la présentation faite à la télévision d'oeuvres cinématographiques ou audiovisuelles, de jeux vidéos et de services téléphoniques, télématiques ou de sites internet qui font l'objet de restrictions aux mineurs. Le FDI formule également ses propres recommandations spécifiques à la publicité dans les jeux vidéo en ligne [16].

par Me Pascal ALIX et Me Tuyêt-Thi NGUYEN
Avocats à la Cour
Virtualegis
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NDLR : Cet article a fait l'objet d'une seconde partie publiée sur Virtualegis :
- Droit appliqué aux jeux vidéo en ligne (partie 2)

1) Article 1er de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication

2) Article 6.I.2 de la loi pour la confiance dans l'économie numérique du 21 juin 2004

3) Cette loi modifie la loi du 17 juin 1998 relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu'à la protection des mineurs (articles 32 à 39)

4) Recommandation du Forum des droits sur l'internet "Jeux vidéo en ligne : quelle gouvernance ?", p. 38

5) Cass. Ass. Plén., 7 mars 1986, arrêts Atari et Williams Electronics, RIDA juillet 1986, p. 134

6) Cass. Civ. 1, 28 janvier 2003, Casaril / Havas Interactive, D. 2003, p. 1688

7) Cour d'appel de Paris, 20 septembre 2007, SESAM

8) Antoine Chéron, "Un joueur de MMOG peut-il être protégé juridiquement ?"

9) Avatars, MMORPG et personnalité virtuelle, par Aurélien Pfeffer

10) Mémoire "La propriété dans l'univers virtuel", par Hugues Nsiangani

11) Ibid. http://www.memoireonline.com/11/08/1618/m_La-propriete-dans-lunivers-virtuel10.html

12) Henri Leben, "Commerce des objets virtuels : quelle légalité ?"

13) Recommandation du Forum des droits sur l'internet "Jeux vidéo en ligne : quelle gouvernance ?", p. 55-56

14) Antoine Chéron, "Un joueur de MMOG peut-il être protégé juridiquement ?", précité

15) http://www.memoireonline.com/11/08/1618/m_La-propriete-dans-lunivers-virtuel12.html

16) Recommandation du Forum des droits sur l'internet "Jeux vidéo en ligne : quelle gouvernance ?", p. 55-56

Pascal ALIX
Avocat à la Cour



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