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Le Droit de l'Entreprise

DROIT DU TRAVAIL
L'autorisation judiciaire d'accéder aux courriels d'un salarié
Publié le 25/08/2009
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Il est permis, depuis fort longtemps, de demander au juge judiciaire, sur requête ou en référé, une mesure d'instruction tendant à la conservation ou à l'établissement de la preuve de certains faits.

C'est ainsi que les parties à un contrat de travail peuvent demander aux juridictions prud'homales d'ordonner des mesures d'instruction en vue d'un procès à venir.

Aussi une partie peut-elle, par exemple, en s'appuyant sur les articles 10 du Code civil, 11 et 145 du code de procédure civile, demander, sur requête ou en référé, qu'il soit ordonné à l'autre partie de produire tous documents qu'elle détient s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir la preuve de faits permettant, par exemple, de prouver les horaires de travail[1].

Cette procédure s'applique notamment lorsqu'il s'agit de prouver le manquement d'un salarié à ses obligations contractuelles.

L'autorisation judiciaire d'accéder aux courriels d'un salarié stockés sur l'ordinateur mis à sa disposition constitue une mesure d'instruction légalement admissible

Le juge des référés ou le juge des requêtes ne peut ordonner une mesure d'instruction tendant à la conservation ou à l'établissement de preuves que si cette mesure est « légalement admissible » (article 145 du code de procédure civile).

Dans son arrêt « DATACEP » en date du 23 mai 2007[2], la cour de cassation a décidé, implicitement mais nécessairement, que la désignation d'un huissier de justice afin de dresser un procès-verbal par lequel il constate la teneur de courriels stockés par un salarié sur le disque dur de l'ordinateur mis à sa disposition par son employeur constitue une mesure d'instruction « légalement admissible ».

Cette règle résulte notamment de l'attendu par lequel la Cour de Cassation énonce très clairement qu'une telle mesure ne peut se voir opposer « le respect de la vie personnelle du salarié ». Cette décision ne remet nullement en cause les jurisprudences NIKON[3] et CATHNET-SCIENCE[4] puisqu'elle soumet l'accès aux courriels du salarié au contrôle du juge judiciaire, traditionnellement considéré comme le gardien des libertés individuelles.

L'arrêt DATACEP contient du reste une référence à l'arrêt CATHNET-SCIENCE, la Cour de Cassation rappelant « qu'il résultait des constatations (de la cour d'appel) que l'huissier avait rempli sa mission en présence du salarié », cette présence étant l'une des conditions à l'accès, par l'employeur, aux fichiers stockés sur le disque dur de l'ordinateur du salarié.

L'autorisation judiciaire d'accéder aux courriels d'un salarié stockés sur l'ordinateur mis à sa disposition est subordonnée à l'existence d'un motif légitime

La possibilité de mettre en oeuvre une telle mesure d'instruction est toutefois subordonnée à une condition de fond : il doit exister « un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution du litige » (article 145 du code de procédure civile).

Or, la Cour de Cassation précise que les juges du fond apprécient souverainement l'existence d'un tel motif[5], ainsi que l'utilité de la mesure sollicitée[6]. Aussi est-il impossible de dresser une liste des motifs qui constitueraient un « motif légitime » dans le cadre d'une demande judiciaire tendant à faire nommer un huissier de justice pour prendre connaissance et enregistrer la teneur de courriels stockés sur le disque dur d'un ordinateur mis à la disposition d'un salarié.

L'arrêt DATACEP

La seule certitude actuelle est celle sur laquelle lorsque « l'employeur a des motifs légitimes de suspecter des actes de concurrence déloyale », il peut saisir sur requête le président d'un tribunal de grande instance afin d'obtenir une ordonnance autorisant un huissier de justice à « accéder aux données contenues dans l'ordinateur mis […] à la disposition du salarié et à prendre connaissance, pour en enregistrer la teneur, des messages électroniques échangés par l'intéressé avec deux personnes identifiées, étrangères à l'entreprise et avec lesquels elle lui prêtait des relations constitutives, à son égard, de manoeuvres déloyales tendant à la constitution d'une société concurrente »[7].

En ce cas, la Cour de Cassation considère - visant les dispositions de l'article 9 du Code civil ainsi que celles de l'article L. 120-2 du Code du travail, recodifié sous l'article L. 1121-1 - que « le respect de la vie personnelle du salarié ne constitue pas en lui-même un obstacle à l'application des dispositions de l'article 145 du nouveau code de procédure civile ».

Le juge doit cependant constater non seulement que les mesures qu'il ordonne procèdent d'un motif légitime, mais encore que ces mesures « sont nécessaires à la protection des droits de la partie qui les a sollicitées ».

Quels sont les motifs légitimes ?

Nous avons vu que les juges du fond apprécient souverainement le caractère légitime des motifs invoqués par l'employeur à l'appui de sa demande de mesure d'instruction. De sorte que l'accomplissement de cette condition s'apprécie, en réalité, au cas par cas.

Il ressort notamment de la décision rendue dans l'affaire DATACEP que la suspicion d'actes de concurrence déloyale peut constituer, dans certains cas, un motif légitime[8].

Mais la jurisprudence ne s'est pas encore clairement prononcée, à notre connaissance, sur la nature des faits susceptibles de constituer un motif légitime, dans le cadre d'une demande tendant à la désignation d'un huissier de justice afin d'accéder à l'ordinateur mis à la disposition d'un salarié.

Quel est le juge compétent ?

La procédure prévue par l'article 145 du Code de procédure civile ne peut être utilisée lorsque le litige en vue duquel la mesure d'instruction a été sollicitée a déjà été soumis au juge du fond, à savoir à une juridiction prud'homale[9].

Si tel n'est pas le cas, la nomination d'un huissier de justice afin de procéder à un constat relatif au contenu du disque dur de l'ordinateur du salarié est efficacement demandée au président du tribunal de grande instance statuant comme juge des requêtes.

Cette procédure, qui est engagée devant le tribunal dans le ressort duquel se trouvent les locaux de l'entreprise dans lesquels le salarié travaille, a pour avantage, n'étant pas contradictoire, d'éviter que le salarié procède à la destruction des preuves avant constat.

Certes, les parties ne sont pas entièrement libres du choix entre le juge des référés, d'une part, et le juge des requêtes, d'autre part, compte tenu de la dérogation au principe de la contradiction dans le second cas[10]. Cependant, la nécessité de sauvegarder les preuves permet à l'employeur de saisir le juge des requêtes lorsqu'il souhaite prendre connaissance du contenu de courriels suspects.



[1] Cass. soc., 27 mai 1997, pourvoi n° 95-41765

[2] Cass. soc., 23 mai 2007, Datacep, pourvoi n° 05-17818

[3] Cass. soc., 2 octobre 2001, pourvoi n° 99-42942

[4] Cass. soc., 17 mai 2005, pourvoi n° 03-40017

[5] Cass. soc., 12 juillet 1999, pourvoi n° 97-41038

[6] Cass. soc., 26 septembre 2001, pourvoi n° 00-42140

[7] Cass. soc., 23 mai 2007, Datacep, pourvoi n° 05-17818, précité.

[8] V. également Soc., 10 juin 2008, pourvoi n° 06-19229

[9] Cass. soc., 12 décembre 2000, pourvoi n° 99-41246 ; cass. soc., 13 juin 2001, pourvoi n° 00-43499

[10] G. Couchez, Procédure civile, Dalloz, 1998, n° 859, p. 326

Pascal ALIX
Avocat à la Cour



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